mercredi 6 mai 2020

L'offrande du jeune brahmane



Un brahmane officiait quotidiennement dans le petit temple dont il avait la charge. Aux heures prescrites par la tradition, il récitait les textes sacrés, brûlait de l'encens, sonnait la cloche et procédait au puja, la cérémonie de l'offrande au dieu. Pour cela, il faisait venir de très loin une certaine sorte de laddu, petites friandises dont les dieux sont, parait-il, particulièrement friands. Il déposait les laddu devant la murti, la statue du dieu, et comme cela se fait dans les temples, tirait un rideau devant la divinité, pour la laisser consommer son offrande tranquillement. 

Puis, le dieu s'étant nourri de l'essence subtile de l'offrande, le brahmane redistribuait les friandises bénies à l'assemblée. Mais il en manquait toujours une ou deux, et il paraissait à tous que le dieu consommait effectivement son offrande ; c'était là une chose rarissime, un vrai miracle. Les foules se pressaient pour assister au repas du dieu, et le brahmane passait pour un saint.

Or il advint qu'il dut s'absenter pour quelque pèlerinage. Il appela donc son fils et lui dit : « Tu n'es pas encore adulte, mais c'est pour bientôt. Et puis tu es un brahmane comme moi. Tu m'as vu officier tous les jours, et je pense que tu sauras parfaitement me remplacer au service du dieu. » Il vérifia que son fils connaissait bien l'ordre de la cérémonie, lui fit réciter les hymnes sacrés sans y déceler la moindre erreur, et quitta le temple en toute confiance.


Le lendemain, à l'heure prescrite, le jeune brahmane se présenta devant la divinité. Il récita les textes saints, brûla de l'encens, sonna la cloche et présenta humblement les laddu au dieu. Puis il tira le rideau et attendit quelques instants. Mais le dieu n'avait pas touché à son offrande. L'enfant était troublé : « Sans doute ai-je fait une erreur, pensait-il. Je vais recommencer avec plus d'attention, plus de ferveur. » 

Et après s'être rituellement purifié, il reprit toute la cérémonie, chantant avec plus de dévotion, offrant son cœur au dieu à chaque mot, dans chaque geste. Mais cette fois encore, le dieu ne daigna pas toucher l'offrande. 

Pris de panique en voyant son offrande à nouveau refusée, craignant d'avoir déplu au dieu, il se purifia à nouveau, et recommença. Cette fois-ci, il se confondit en dévotion, chantant les hymnes avec une telle humilité et un tel amour, que les murs du temple et toute l'assemblée des fidèles en tremblaient d'émotion. Mais la statue du dieu ne bougea pas plus qu'avant. 

Alors le jeune brahmane fondit en larme, déchira sa tunique de désespoir, se couvrit le visage de cendres, et se frappa la tête sur le sol, au pied du dieu. « Je t'en supplie, accepte mon offrande, criait-il. J'y ai mis toute mon âme, tout ce que mon cœur peut contenir d'amour ! Je ne peux pas te donner plus, je t'ai déjà tout donné ! Je t'en supplie ! Je mourrai à tes pieds s'il le faut ! Tiens, je te donne à nouveau ma tête, mon corps tout entier, et mon esprit, et toutes mes incarnations futures, mais accepte mon offrande ! » 

Alors, au milieu de tout ce tapage, on entendit une voix, forte et douce pareille à celle des dieux, qui dit : « D'accord, d'accord, j'accepte ton offrande ! Mais je t'en supplie, petit, cesse donc de pleurer ainsi ! » Et le jeune brahmane vit la statue du dieu descendre de son socle, prendre un laddu et le porter à sa bouche !

Le père revint de son pèlerinage, et on lui conta l'aventure. Sceptique, il interrogea son fils, qui lui raconta comment, en effet, la divinité avait mangé un laddu. « Elle a daigné accepter mon offrande, comme elle daigne chaque jour accepter la tienne, ô père. » 

Mais le père, fondant en larmes, tomba à genoux : « Mon fils ! Ô mon fils ! C'est là un vrai miracle ! Tu es béni par le dieu lui-même ! Car ce que tu ne sais pas, confessa-t-il, c'est que le dieu n'a jamais mangé le moindre laddu de mon offrande. C'est moi qui en suis particulièrement friand, et j'ai pris l'habitude d'en dérober discrètement un ou deux chaque fois que je tire le rideau sur la divinité... »

Que votre dévotion soit si intense et si pure qu'elle mette en mouvement ce qui ordinairement ne bouge pas. Qu'elle soit telle qu'elle mette en mouvement l'Univers. Et que le Divin ne puisse la refuser. 

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