Depuis les attentats de samedi, le monde entier manifeste un touchant élan de solidarité à l’égard des Parisiens et des Français en général. Mais on entend aussi des voix qui regrettent que la même compassion ne semble pas se manifester à chaque fois que des attentats similaires ou que des violences font leur lot de victimes dans d’autres pays. Et en effet, les occasions de nous indigner ne manquent pas : il y a eu dans la même semaine des dizaines de morts à Beyrouth, une centaine au Kenya, d’autres centaines au Burundi, ou morts noyés en Méditerranée, sans parler de l’Irak et de la Syrie… et d’autres encore, innombrables, victimes partout dans le monde de la violence, de la misère et de l’ignorance.
Alors je me suis posé cette question : après tout, c’est vrai, pourquoi ne voit-on pas la même solidarité et la même compassion pour tous ?
On peut bien sûr gloser sur l’orientation des médias et des réseaux sociaux qui ne s’intéresseraient qu’à ce qui se passe en Europe et en Amérique du Nord, et qui prouveraient par là l’extraordinaire égoïsme des Occidentaux, etc. On peut aussi cyniquement se dire qu’on finit par ne plus s’intéresser à la violence des pays dont on perçoit qu’ils en sont malheureusement coutumiers. Mais sans doute peut-on voir plus loin que ces opinions dictées par la dualité et ses tensions.
Nous sommes mis au défi de développer une vue d’ensemble, d’embrasser le tout : Yogi Bhajan nous invite à « voir Dieu en tout » (sinon, on le sait, « on ne peut pas voir Dieu du tout »), le développement durable nous dit de « penser global », et nos grands modèles de sagesse et de bonté semblent s’être adressés à tous. Mais pour la plupart d’entre nous, « tout le monde », « universel », « l’humanité toute entière »… ne sont que des notions abstraites, des concepts dont on peine à faire une expérience tangible. D’ailleurs, celles et ceux qui ont manifesté leur amour pour tous les êtres semblent plutôt rares : on s’en souvient avec dévotion, on leur voue un culte et on bâtit des sanctuaires à leurs noms.
Alors on approche ce vaste horizon qu’est l’universel au travers de ce que l’on connait, de ce qui nous est plus familier, de ce qui est à notre portée. Ainsi, si la compassion pour tous n’est pas facile à ressentir, on peut l’appréhender au travers de la compassion pour quelqu’un en particulier ou dans une situation donnée. De même que l’on peut approcher l’amour de Dieu en aimant son partenaire, ou que l’on apprend à aimer tous les êtres en aimant au moins ceux que l’on connait, que l’on a de l’empathie pour tous les êtres qui souffrent en contemplant un seul chien pelé et affamé. Dans le même esprit, on sait qu’entre l’individuel et l’universel, il y a la communauté : cette cour où se rencontrent le connu et l’inconnu, le personnel et l’impersonnel, le familier et le mystérieux ; cette porte, certes étroite au regard des dimensions de l’Infini, mais qui mène quand même à lui. Même les plus grandes consciences n’ont jamais parlé qu’à celles et ceux qui étaient en leurs présences. Mais ils ont su toucher, à travers eux, le monde entier.
La France, et Paris en particulier, sont familiers à beaucoup de gens. La France a une longue histoire et s’est fait connaitre (pas toujours favorablement, certes) de beaucoup de peuples. La langue française est très répandue et la culture française s’exporte bien, de même que sa mode, sa gastronomie et un certain art de vivre. Tout le monde connait la Tour Eiffel et Paris est dans le trio de têtes des destinations touristiques les plus prisées. Les Français jouissent globalement d’une image positive, et beaucoup de gens se disent qu’ils n’ont rien fait pour mériter cela.
Mais au-delà, qui peut dire ce que ces drapeaux tricolores qui fleurissent sur internet ne parlent que des Français ? Qui sait ce qu’ils signifient réellement ? Qui sait si, en manifestant leur indignation et leur solidarité à l’égard d’un peuple connu et identifié, et qui vit une tragédie donnée (alors qu’en effet, tant d’autres peuples mériteraient une égale compassion), ils n’expriment pas quelque chose de plus universel, mais de plus difficilement accessible ? De la même façon, on a tous vu la photo du corps d’Aylan, petit réfugié syrien noyé sur les plages grecques. Beaucoup d’autres enfants, à commencer par ses frères et sœurs, sont morts ce jour-là, et cela continue : mais qui irait affirmer que l’immense tristesse que l’on a ressenti devant ce petit garçon excluait ou ignorait les autres enfants décédés ? Sans doute, notre peine fut si grande qu’elle les incluait tous. Certes, le mental ne s’intéresse en général qu’à ce qui lui est familier, alors que le cœur, lui, peut contenir le monde entier. Mais qui a dit que le mental ne pouvait pas exprimer, parfois, à sa manière locale et limitée, ce que le cœur ressent d’infini ? Qui sait tout l’universel contenu ou adressé dans ces manifestations ciblées de solidarité ? Qui sait quelle prière universelle est dite en silence lorsque l’on écrit avec émotion pray for Paris ?
Paix à tou-te-s !
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