mardi 9 janvier 2024

Les résolutions négatives


C’est le moment des bonnes résolutions ! Cette tradition est un peu comme celle de la galette des rois : sans doute avons-nous jusqu’au 15 ou au 20 janvier pour l’honorer. Tant que nous sommes dans l’écho des fêtes de fin d’année. Avant que 2024 devienne un environnement familier, que l’année soit lancée pour de bon.

Notons d’abord que notre calendrier est assez peu « naturel » : même si ce début d’année a indirectement à voir avec le solstice d’hiver, il est purement conventionnel, produit d’une histoire politique, religieuse et scientifique longue et complexe, où le hasard et les considérations pragmatiques ont joué un rôle important. 

Il y a néanmoins quelque chose à saisir en ce début d’année : un renouveau, une ouverture, un élan. On a en tête ce que l’on sait de l’année à venir : les anniversaires, les échéances, les changements attendus au niveau individuel, mais aussi les événements familiaux voire, à une autre échelle, collectifs. On peut ainsi prévoir, c’est-à-dire voir de loin. Ce n’est donc pas une mauvaise idée d’accompagner le passage du temps de sa propre volonté, sa propre motivation. Un peu comme sur un canot qui descend une rivière : on peut certes se laisser porter par le courant, on arrivera bien à destination. Mais on peut aussi anticiper le mouvement. Pour garder un cap, se donner le sentiment de participer à ce qui nous arrive. Ne serait-ce que pour choisir quelle rive on aimerait voir de plus près. C’est pourquoi les « bonnes résolutions » ont du sens. Mais lesquelles ?

Nous avons toutes et tous l’expérience de résolutions que l’on ne tient pas au-delà du mois de janvier. Dès le 2 janvier, les allées toulousaines étaient pleines de nouveaux coureurs, reconnaissables à leurs tenues toutes neuves. Couront-ils toujours en février ? Il en va de même pour les salles de gym, qui connaissent bien ce boom des inscriptions en début d’année, suivi peu après de la fréquentation ordinaire du reste de l’année. En fait, ces résolutions ne sont guère plus que des vœux pieux : des projections positives de soi, sans doute intéressantes, mais difficiles à mettre en œuvre. Car elles exigent d’ajouter quelque chose à nos vies déjà bien remplies. Elles nous demandent d’en faire plus, à nous qui en faisons déjà trop. 

C’est ici que nous intéresse la pensée de Nassim N. Taleb, penseur et essayiste, auteur de la série littéraire Incerto*. Taleb est un spécialiste de la via negativa de la pensée antique : éliminer ce qui est toxique, se tenir à distance de ce qui est hostile, se prémunir de tout danger raisonnable, anticiper ce qui est rare mais dévastateur (le concept de « cygne noir » dont il est l’auteur). Et se réjouir de tout le reste, se laisser surprendre, explorer, découvrir. Jouer avec les heureux et surprenants effets du hasard. Se permettre d’être dans le flux de la vie, dès lors que, intelligemment et dans la mesure du possible, on s’est mis à l’abri de ce que la vie apporte de plus désagréable. 

C’est pourquoi Taleb recommandait en 2013 de privilégier les bonnes résolutions « négatives » : s’engager à cesser de faire certaines choses, à rompre avec des habitudes qui nous desservent, à éviter des attitudes néfastes, etc. Car « faire » et « ne pas faire » ne sont pas symétriques en termes de coût : il est généralement beaucoup plus facile de cesser de faire quelque chose que de faire quelque chose de nouveau. Il est moins coûteux de s’abstenir, de passer son chemin, de ne pas s’engager dans une voie connue (pour les ennuis auxquelles elle nous conduit), que de s’engager dans une voie nouvelle. 

Lorsque l’on cesse, on peut même récupérer une énergie qui ne servira plus à faire, un peu comme une voiture électrique dont la batterie se recharge au freinage. Cesser de faire, c’est, en général, récupérer du temps, de l’argent, de la vitalité, de l’espace mental… autant de choses précieuses mais parfois mal investies. 

Et puis les résolutions positives « verrouillent » quelque chose en nous. Il y a comme une envie de devenir quelqu’un d’autre (comme si une telle chose était possible ou souhaitable). Mais les résolutions négatives, elles, nous dégagent de ce qui nous encombre et nous empêche de mettre en œuvre ce qui nous anime en profondeur. 

Avec le temps, je commence à réaliser qu’en ce qui me concerne, mes aspirations, mes goûts, mon imaginaire, ce qui m’émeut et me fait aimer la vie… sont à peu près les mêmes depuis des années. Mais je ne les ai pas toujours honorés, occupé que j’étais à… faire autre chose. À ajouter des injonctions, des projections, des exigences, des objectifs d’autant plus ambitieux qu’ils n’étaient pas les miens. Autant de chemins à prendre, d’horizons à atteindre, et de choses à faire. Et moins de temps et d’énergie à consacrer à ce qui, en moi, est naturellement présent. Or pas besoin de résolution pour ces bonnes choses-là : pas besoin de me promettre de les installer dans ma vie ou de m’y consacrer. Elles sont déjà là. Il me suffit juste de cesser de faire le reste. Voilà donc ma bonne résolution pour 2024 !

Je vous souhaite, à toutes et tous, une belle et heureuse année.

Ram Singh

*  Le Hasard sauvage (2005), Le Cygne Noir (2007), Le Lit de Procuste (2010), Antifragile (2014) et Jouer sa peau (2017)

1 commentaire:

  1. Merci Ram Singh, pour ce beau résumé, de ce que nous attend cette belle nouvelle année.

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